mardi 13 novembre 2012

Adieu petit tailleur


Ecrit par Zehra Lebrun (Turquie, cours LFRAN1401, objectif B2)
Il s’était levé brusquement, excédé, à trois heures du matin, s’était rhabillé, avait failli sortir sans cravate, en pantoufles, le col du pardessus relevé, comme certains gens qui promènent leur chien le soir ou le matin de bonne heure. Puis, une fois dans la cour de cette maison qu'il ne parvenait pas, après deux mois, à considérer comme une vraie maison, il s'était aperçu, en levant machinalement la tête, qu'il avait oublié d'éteindre sa lumière, mais il n'avait pas eu le courage de remonter. (Georges Simenon, premières lignes de Trois chambres à Manhattan)
C’était une année difficile pour lui ; il avait déménagé dans un nouveau pays, ou il y n’avait pas assez de lumière pour son métier. Il pleuvait toujours dans cette ville comme durant un automne qui ne finissait jamais. Une défiance épaisse, une ambiance décourageante. Ses clients dans ce pays  lui demandaient toujours les mêmes choses, un trench-coat, un pardessus ou une veste, toujours en noir.
Il avait déménagé avec son épouse, pour donner une deuxième chance à leur mariage. Elle se plaignait toujours qu’il ne lui montrait pas assez d’attention comme il travaillait beaucoup. Elle était jalouse de ses clients. La dernière fois qu’elle avait vu une belle cliente dans son magasin, à demi nue, elle avait perdu son sang-froid, avait crié sur la jeune femme. Quel dommage qu’il ait choisi cette vie pour lui-même.
Et Nadine...  La belle rose du quartier… La seule couleur de ce pays.. L’arc-en-ciel de sa vie.. Elle demandait toujours des vêtements différents ; elle a commencé avec une jupe rose, après une veste violette. C’était son seul plaisir d’utiliser tous les teintes pour elle. Avec elle, il se sentait bien.
Mais lors de sa dernière commande, il ne l’a pas comprise. Elle a demandé une veste noire.. Une veste noire.. Comme tous les autres qui n’appréciaient pas son boulot. Comme un mouton dans le troupeau.
Il a essayé pourtant…
- Ma chère Nadine, j’ai un tissu très vivant pour vous. Il va être très chic pour une veste.
- Non, je voudrais une veste noire cette fois..
Catastrophe.. Son monde fragile s’écroulait.. Soudain tout  a perdu son sens. Ce n’était pas normal. Il devait y avoir un problème. Il a réessayé :
-       Mais, ma belle Nadine, tu es très belle avec de la couleur.
-       Non, Gérard, cette fois, je voudrais une veste noire..
Il pouvait voir qu’elle était déjà demi-nue, attendait pour que son amour de tailleur lui prenne les mesures. Mais non, il avait déjà décidé qu’il n’allait pas changer. Il a pris les ciseaux et... Il ne pouvait plus se souvenir... Tout était rouge, tout était beau.
Le tailleur (Giovanni Battista)

A l’extérieur, il alluma une nouvelle cigarette. Il y avait du brouillard et il ne pouvait plus voir la lumière de son atelier. Il a surveillé l’endroit pour voir s’il y avait un témoin, quelqu'un  qui pouvait avoir entendu les cris de Nadine. Mais non, les voisins ne parlaient jamais avec lui et sa femme était chez leur maman. "Il y n’a pas de risque" pensait-il. Il a décidé de retourner à son atelier pour nettoyer les preuves.
Mais il n’était pas seul dans la maison. Il a vu sa femme avec une veste violette, celle de Nadine, dans une main et un pistolet dans l’autre.
-       Tu as volé les couleurs de ma vie et tu les a données aux autres femmes..
Et elle tira… Une fois pour Gérard, et une fois pour elle-même…

Finalement, c’était un cas très clair pour Maigret et G.7. Trois victimes ; le tailleur et sa femme ont été trouvés assassinés avec un pistolet et la troisième  victime avait été égorgée avec des ciseaux. ‘Quelle violence’, pensaient-ils. Ils étaient curieux de savoir ce que Nadine pouvait avoir  fait pour appeler cette violence. Ils ont mis leur chapeau, leurs gants et leur pardessus. Il pleuvait toujours…
-       Adieu, petit tailleur...
Et ils fermèrent les portes à clef en s'en allant (Georges Simenon, dernière lignes de Trois chambres à Manhattan)
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