mercredi 9 novembre 2016


Il s’était levé brusquement, excédé, à trois heures du matin, s’était rhabillé, avait failli sortir sans cravate, en pantoufles, le col du pardessus relevé, comme certaines gens qui promènent leur chien le soir ou le matin de bonne heure. Puis, une fois dans la cour de cette maison qu’il ne parvenait pas, après deux mois, à considérer comme une vraie maison, il s’était aperçu, en levant machinalement la tête qu’il avait oublié d’éteindre sa lumière, mais il n’avait pas eu le courage de remonter.


Gaston avait quitté sa maison familiale à cause des querelles de plus en plus fréquentes et fortes avec sa femme, Méline. Il semblait qu’ils n’étaient jamais tombés amoureux l’un de l’autre, comme si toute la douceur et la beauté du début n’avaient jamais existé. Gaston était devenu fou : mélancolie, tristesse, désespoir, frustration se mêlaient dans son âme sans trouver un autre but que la pure colère, contre la vie et contre Méline. Contrairement à lui, qui n’avait pas du tout encore compris pourquoi leur histoire était terminée, elle le savait très bien : Gaston était borné, bête, sujet à la colère, sans projets et il gâchait en buvant et en jouant, non seulement son temps mais aussi l’argent qu’elle gagnait. Il voulait faire l’écrivain, mais il n’avait pas le talent ni la volonté pour  réussir ; ses vers apparaissaient comme des  mot d’enfant jetés par hasard sur une feuille que personne y aurait voulu préserver et qui maintenant n’exprimaient plus aucune promesse d’amour et de félicité. Gaston était coupable d’avoir volé les rêves et l’avenir de sa femme.
Le jour où Gaston avait laissé sa maison, son fils, Alain, avait préféré rester chez Méline parce qu’il ne pouvait pas supporter la présence de Gaston et, en plus, il avait toujours entretenu avec sa mère un rapport très proche de l’amitié – peut-être à cause du climat que son père créait dans la maison – ainsi qu’elle savait tout d’Alain. Gaston, donc, avait jugé tout cela une outrage à sa personne et par conséquence il estimait son fils une vraie fillette.

Le jour avant sa sortie de nuit, Alain s’était présenté chez Gaston pour lui demander de payer la pension alimentaire : il se serait arrêté là jusqu’à ce que son père ne le lui aurait donné. Il pensait que cette méthode aurait pu fonctionner parce qu’il savait bien combien Gaston le méprisait. Mais cette nuit-là le mépris de Gaston n’avait fait qu’augmenter lorsqu’ il avait vu Alain, dans la petite lumière de sa chambre, essayant les tailleurs de Méline – ceux que Gaston avait volé à sa femme le jour de l’adieu dans un esprit de colère et de tristesse pour en faire on ne sait quoi.

La vue de cette scène jeta Gaston dans le désespoir et le dédain absolus : son fils homosexuel ? Impossible! Une autre outrage! Il décida de ne pas y penser et de sortir de la maison pour essayer se calmer. La lumière qu’il avait laissé allumée aurait bien sûr fait comprendre à Alain qu’il avait découvert son secret, mais cela ne le touchait pas. Deux heures après Gaston retourna à la maison, il voulait prendre son fils par le collet de sa chemise, le soulever, hurler son dégoût et puis… Mais, enfin, au moment où il rentra le désastre se présenta à ses yeux.


Quand l’interrogatoire fût terminé, Maigret avait encore des doutes sur l’identité du coupable ; il n’arrivait pas à s’expliquer pourquoi il  y avait des cheveux de femme près du corps du garçon. Peut-être qu’ils y étaient restés attachés aux tailleurs lorsque Gaston avait quitté la maison avec eux..
La solution arriva à la morgue : pendant que les conjoints regardaient pour la dernière fois le corps de leur fils, une phrase frappa Maigret « Adieu, petit tailleur … ». Ils fermèrent les portes à clef en s’en allant mais le commissaire retint l’un des deux: dans cette phrase il y avait trop de tendresse et de conscience, trop de certitude d’avoir réussie à masquer la vengeance des rêves perdus derrière un sacrifice humain.

Livia Corbelli, Italie, B2

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